L’Africain, le boudhiste et la malaria
Cinq préceptes du Bouddhisme au peigne fin. Si les quatre suivants passent, le premier a du mal à passer. Surtout pour un Subsaharien. Et pour cause : la malaria. Comment concilier la lutte contre cette pandémie et le premier précepte du bouddhisme : s’abstenir de ne pas nuire aux êtres vivants ni prendre la vie ? J’en ai longuement débattu avec Richard Xavanna, moine laotien à Roubaix.
« Une vie, ça vaut une vie », tranche Richard Xavanna, 61 ans, moine de l’association bouddhiste laotienne du Nord. Le débat a trop duré. Pas d’issue possible. Tellement, je n’arrive pas à saisir le sens de ce premier précepte. Surtout son extension même aux insectes foncièrement nuisibles. Comme les moustiques, responsables du paludisme dans les pays du tiers-monde. Comment comprendre que le Bouddhisme soit si « tolérant » ? Tous les moyens d’éradication de ces insectes passent comme des transgressions du premier précepte !
Le moine me recommande de la pitié :
S’abstenir de tuer tout être vivant, premier précepte du Bouddhisme, nous renvoie à cultiver de la compassion, de la pitié vis-à-vis de l’autre. »
- Moustique (JR Guillaumin/Flickr/CC)
C’est pour cette raison que même les « moustiques méritent d’être traités avec compassion. Car, poursuit-il, le fait qu’ils sucent le sang ne peut justifier qu’on les tue ». L’argumentaire du moine me paraît incompréhensible. Je me vois encore dans ma chambre à Kisangani, en République Démocratique du Congo. Insecticides et moustiquaires au menu le soir pour me protéger contre les piqûres des moustiques. Je refuse d’admettre que j’avais tort d’agir ainsi.
Alors, je passe à l’offensive. Je lui parle des chiffres :
Les moustiques causent la mort d’un à trois millions de personnes par an, soit en moyenne un mort toutes les 30 secondes. Et l’Afrique demeure le continent le plus touché. »
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« Une vie, c’est une vie. Rien ne nous autorise à supprimer une vie », rétorque froidement mon interlocuteur. Il en profite pour me mettre en garde. Ma « prochaine vie » en dépend. Autant j’aurai tué, ne serait-ce que les moustiques, sur cette vie, autant je serai aussi tué dans l’autre vie. Vu mon casier judiciaire bourré d’assassinats des moustiques, j’ai trop de chance, ou de malheur, d’être un moustique dans « l’autre vie ». On est sur le terrain de la « réincarnation », cher aux Bouddhistes.
Apparemment, les chiffres n’ont pas convaincu le moine. Que dire de plus pour justifier mes mains sales ? Oui, j’ai tué plein de moustiques dans ma vie. Nouvelle tentative de persuasion : tous ces « homicides » étaient bien de bonne foi, non ?. Je lui sors alors mon joker : « Alors, la viande, vous en mangez ? » Sans tergiverser, il acquiesce. Mais, « c’est de la responsabilité du boucher ! », ajoute-il pour se justifier.
Bien trouvé ? Peut-être. En tout cas, bon compromis pour moi. Je n’ai jamais fabriqué ni moustiquaires ni insecticides. Je les utilisais juste pour me protéger. Comme j’achète la viande pour me nourrir. Sans violer le premier précepte de Bouddha. Je tente d’élargir l’exception mais ce n’est pas évident. Comment lutter donc contre la malaria en jouant « amis – amis » avec les moustiques ?
Photo : Moustique (JR Guillaumin/Flickr/CC)
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