Trésor Kibangula

Facebook : moteur des revendications sociales en Afrique ?

La page Facebook Révolution Tunisienne, le 7 février à 21h32

La Tunisie hier, aujourd’hui l’Egypte, demain peut-être l’Algérie, la Lybie, voire toutes les autres dictatures. Les mouvements sociaux se déclenchent ou se propagent désormais via les réseaux sociaux. A côté de Twitter, Facebook permet aux « cyber-révolutionnaires » d’organiser  des manifestations et de se passer des messages. Coup de projecteur sur certains groupes et pages Facebook.

91 993 personnes aiment ça. La page Facebook La Révolution Tunisienne continue à prendre de l’ampleur. Créée 48 heures après la fuite du président Ben Ali, cette page rassemble photos, vidéos et messages de soutien à la révolution de jasmin pour qu’elle « ne s’étouffe pas dans l’œuf ». Hier soir, le  wall de La Révolution Tunisienne appellait à un « sit-in devant le parlement de Bardo » le lundi 7 février pour réclamer notamment « la dissolution immédiate de la chambre des députés et des conseillers » et « la démission du premier ministre Mohamed El Ghannouchi ».

Egyptiens de Luxembourg, Clausen, le 5 février (gwenflickr/Flickr/CC)

En Egypte, la vidéo d’Asmaa Mahfouz sur YouTube se compte parmi les petits éléments déclencheurs de la révolte sur la Place Tahrir. Le message courageux de la jeune égyptienne de 26 ans a très vite circulé à travers les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook. Des Egyptiens sont descendus dans la rue et continuent à faire entendre leur voix. Depuis plus de 14 jours déjà, des milliers des manifestants crient : « Moubarek dégage ! » (Voir le portfolio sonore)

Les limites. De son côté, le « guide de la révolution libyenne », Mouammar Khadafi, ne craint pas les « révolutions Facebook » qui secouent le Maghreb. Des mesures drastiques ont été prises depuis bien longtemps. L’accès à YouTube a été bloqué dès le début de l’année passée, à côté de plusieurs autres mesures de musellement des médias indépendants. Les « cyber-révolutionnaires » libyens, s’ils n’osent pas encore réclamer le départ du « guide », mènent, timidement, quelques actions sur la toile. We want YouTube unblocked in Libya , la page Facebook créée pour la cause ne compte aujourd’hui que moins de 200 membres.

Si les « révolutions Facebook » font bouger le Maghreb, elles traînent encore à glisser plus au sud du continent africain. Le vent de la révolte populaire déclenchée par l’internet n’a pas encore soufflé sur l’Afrique subsaharienne, pourtant non épargnée par des régimes totalitaires. Un petit tour sur le réseau social de Mark Zuckerberg dévoile tout de même le rassemblement des Africains de cette partie du continent sur des pages/groupes thématiques.

Jeunes correspondants de l'Avenue 225 (Yoro/Avenue225.com)

Israël Yoroba partage textes, photos et vidéos du vécu quotidien des Ivoriens sur une page Facebook dédiée à l’Avenue 225. Un site d’informations conduit par des jeunes bénévoles motivés par un seul but : montrer « la facette de la Côte d’Ivoire qu’on ne présente pas toujours ». Sa page Facebook a déjà dépassé la barre de 8 500 personnes (qui aiment ça).

2 663 Congolais ont rejoint la page Facebook RD Congo : pour la double nationalité des Congolais d’origine.  Composée essentiellement des Congolais de la diaspora, cette page Facebook leur sert pour faire connaître leurs revendications. Un de leur initie en ce moment une pétition pour demander au pouvoir de Kinshasa de reconnaître le droit de vote aux  Congolais ayant acquis une  nationalité étrangère.

Les « rois » des pays africains sont donc prévenus. Le peuple a trouvé un allié : Facebook. Un de réseaux sociaux qui lui facilite la mobilisation et la diffusion de ses desiderata. Abraham Lincoln avertissait déjà en son temps :

On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

Photos : Egyptiens de Luxembourg, Clausen, le 5 février (gwenflickr/Flickr/CC)/Jeunes correspondants de l’Avenue 225 (Yoro/Avenue225.com)



Un Africain à Auschwitz, Birkenau et Majdanek

Entrée du camps de la mort à Auschwitz avec son enseigne « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).

Je reviens d’une visite de quatre jours dans les camps de concentration nazis en Pologne. Une visite organisée par l’association Mémoire et vigilance des lycéens à laquelle étaient conviés 28 étudiants de l’Ecole de journalisme de Lille et 21 lycéens de l’Ecole internationale L’Ermitage. J’y ai vu la main du diable.

« Qu’on se batte en Afrique, c’est normal…Nous, nous sommes des sauvages. Mais vous, les civilisés, pourquoi vous vous êtes battus ? 1914-1918, 1940-1945, Hiroshima, Nagasaki, chambre à gaz, bombardement, mine antipersonnel qui coupe les jambes des enfants, … C’est ça la civilisation ? ». Certes, cette question de Pie Tshibanda interpelle. Mais, Je n’y répondrai pas. Elle ne m’était pas destinée d’ailleurs.

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Par contre, moi aussi, j’ai eu un professeur d’histoire au collège (chez moi, les « collèges » désignent les établissements scolaires conventionnés, souvent catholiques ou protestants). Je me souviens qu’il nous avait aussi parlé des guerres mondiales. A la va-vite malheureusement à l’image de la vidéo ci-dessus. Sans s’attarder sur la chambre à gaz par exemple. Je ne me souviens même pas avoir entendu le mot « Shoah » à l’école.

Après avoir commencé à exterminer méthodiquement les Juifs dans des centres d’extermination spécialement construits, les Nazis déportèrent les Juifs par voie ferrée et, lorsque des trains n’étaient pas disponibles et que les distances étaient courtes, par marche forcée ou par camions. Pendant l’année 1941, les Nazis décidèrent d’appliquer la « Solution finale », c’est-à-dire le meurtre systématique des Juifs de tout le continent européen.

C’est seulement en me rendant, aujourd’hui, dans trois camps de concentration nazis à Auschwitz, Birkenau et Majdanek que je me suis rendu compte de l’ampleur de l’horreur. De la catastrophe. Difficile à m’imaginer toutes ces infrastructures construites pour déshumaniser son prochain avant de le liquider ! Toute une industrie de la mort.

Le camp Auschwitz-Birkenau comptait le plus grand nombre de prisonniers. Le camp comportait plus d’une douzaine de sections séparées par des fils de fer barbelés électrifiés et, à l’instar d’Auschwitz I, il était surveillé par des gardes SS, et notamment, après 1942, par des maîtres de chiens SS. Il contenait également les installations d’un centre d’exécution. Le camp joua un rôle essentiel dans le plan allemand d’élimination des Juifs d’Europe.
Des trains arrivaient fréquemment à Auschwitz-Birkenau, bondés de Juifs provenant de pratiquement tous les pays d’Europe occupés par l’Allemagne ou les alliés de l’Allemagne. Des convois arrivèrent de 1942 à la fin de l’été 1944. Le nombre approximatif de déportés par pays est le suivant : Hongrie : 426 000. Pologne : 300 000. France : 69 000. Pays-Bas : 60 000. Grèce : 55 000. Bohême et Moravie : 46 000. Slovaquie : 27 000. Belgique : 25 000. Yougoslavie : 10 000. Italie : 7 500. Norvège : 690. Autre (y compris les camps de concentration) : 34 000.

Pourtant, je connais la guerre et j’ai vu des morts. Je pense notamment à tous ces corps sans vie qui jonchaient encore les rues de Kisangani après six jours d’affrontement entre deux armées étrangères dans ma ville natale. Je pense aux violences sexuelles utilisées comme armes de guerre à l’est du Congo. Je pense à l’opération « manche longue ou manche courte » des hommes de Froday Sankoh en Sierra Léonne. Je pense aussi au génocide rwandais de 1994. Je pense enfin à des millions des morts de la guerre oubliée dans mon pays d’origine.

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Mais, jamais, jusqu’ici, je pouvais penser que l’homme pouvait aller jusque là. Des récits des témoins de ces horreurs m’ont troublé. A Auschwitz par exemple, j’ai vu toutes ces béquilles et prothèses des juifs assassinés, puisque jugés inaptes. Aux plus aptes, les nazis avaient prévu famine, travaux forcés et chambre à gaz avant de les réduire en poussière dans les fours crématoires. Ni vu ni connu. Tout a été soigneusement pensé…par l’homme ?

Le médecin S.S. commencait à sélectionner ceux qui lui paraissaient aptes au travail. Les femmes en charge de petits enfants étaient en principe inaptes, ainsi que tous les hommes d’apparence maladive ou délicate. On plaçait à l’arrière des camions des escabeaux, et les gens que le médecin S.S. avait classés comme inaptes au travail devaient y monter. Les S.S. du détachement d’accueil les comptaient un à un. Ils étaient par la suite assassinés.
Les baraquements « sanitaires » étaient ouverts deux fois par jour : le matin et le soir. Pas de papier-toilette. Pas d’intimité. Les uns à côté des autres, les déportés étaient contraints à faire leurs besoins. Des fois, une cigarette suffisait pour corrompre les gardiens. Ces baraquements servaient aussi tantôt comme « radios-chiottes », lieux de troc entre détenus, tantôt comme un lieu pour se chauffer grâce à la chaleur dégagée par les matières fécales.

A Majdanek comme à Auschwitz-Birkenau, le plus grand camp d’extermination des juifs, les traces de l’horreur sont encore visibles. La route de la mort. Les ruines de certains baraquements. Les chambres à gaz. Toute cette architecture conçue pour perpétrer des assassinats me bouleverse. Mais, un message gravé sur les bétons interpelle : « Que ce lieu où les nazis ont assassiné un million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants, en majorité des juifs de divers pays d’Europe, soit à jamais pour l’humanité un cri de désespoir et un avertissement ».

Des ruines des chambres à gaz de Birkenau. Les chambres à gaz pouvaient recevoir près de 1 440 personnes pour les plus grandes et 768 personnes à la fois pour les plus petites. Une salle dotée d’une installation sanitaire factice, laissait entrevoir une trappe sur le toit d’où le zyklon B était jeté par des gardes. Les corps étaient ensuite brûlés dans les crématoires contigus. C’était la mission du Sonderkommando choisi parmi les prisonniers. Vers la fin de la guerre, alors que les crématoires tournaient à plein régime, les nazis tuèrent encore plus et brûlèrent les corps dans des fosses.

Au total, « six millions de femmes, d’hommes et d’enfants ont été tués dans des conditions abominables uniquement pour ce qu’ils étaient : des Juifs. Non pour ce qu’ils avaient pu faire » m’explique Jean-Pierre Affali, membre du bureau exécutif du Crif.

J’ai visité les camps de la mort. Je suis rentré mais j’y suis encore. Je ne comprends toujours pas. Comment l’homme est-il arrivé là ? Non, ce n’est pas l’homme. Le diable est passé par là…


Réveillon chez les « diaspora »: ça sent l’Afrique !

La danse du cheval "punda" exécutée par la diaspora

Communautarisme ou souci de retrouver l’ambiance africaine ? Cette question m’est venue vite à l’esprit lorsque mon oncle m’a proposé d’aller fêter le réveillon avec les autres Congolais vivant au Danemark. J’ai donc accepté la proposition pour trouver la réponse à mon interrogation.

A la congolaise

Les Congolais de Danemark sont venus de Randers, Aarhus, Skive, Aalborg, Skanderborg, Vejle ou Odense. Et ils se sont fixé rendez-vous à Viborg. A 75 DKK, environ 10 €, le tarif ne pouvait pas décourager les « invités ». Surtout lorsqu’on vient d’Afrique, mieux encore du Congo. Un pays où tout se marchande, même les permis de conduire, les impôts et taxes…malheureusement !

Du froid polaire à la chaleur africaine, il n'y avait qu'un pas.

« Tiens, voici 200 DKK pour trois personnes. » Le marché est conclu. Me voilà dans la salle de réveillon. A peine arrivé, je me sens en Afrique. Et pourtant, je suis en Scandinavie. Il ne fait plus froid. Les relations humaines sont intenses, chaleureuses et vivantes. Les gens se parlent avec convivialité.

A minuit, le réveillon démarre véritablement par les chansons religieuses. Ils sont restés croyants même s’ils vivent dans une société où la foi appartient à une autre époque. Chants de louange et surtout danses à la gloire du Seigneur accompagnent ces premiers moments de la soirée. Rien à voir avec l’ambiance des églises européennes. Où tout est calme comme dans les messes de requiem en Afrique.

Des retrouvailles et des nostalgies

Certains ne s’étaient plus revus depuis le réveillon de l’année dernière, d’autres ne se sont jamais croisés. Par la magie d’une soirée en communion, ils se retrouvent. Autour d’un verre, au rythme de la musique congolaise dans tous ses états. Du folklore à la musique congolaise moderne. Mais aussi de la RNB et de l’Hip-hop. Mondialisation oblige.

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Echange des numéros de téléphones. Partage des nouvelles. On se raconte ce qu’on est devenu. Des frères restés en Afrique qui ne cessent d’implorer qu’on les fasse venir au nord. Des affaires entamées au pays mais qui n’ont pas marché. « Ils pensent là-bas qu’ici, nous cueillons de l’argent comme des feuilles sur un arbre » ironisent-ils

Pour beaucoup, belle opportunité pour reprendre contact

Plus loin, des nostalgiques. La « femme africaine » leur manquerait-elle ? Apparemment, non. Certains ont épousé des Africaines, des Congolaises. D’autres vivent avec les Européennes. Mais, presque tous ont le même « problème ». Un vide. « Je préfère rentrer au pays et ne pouvoir plus revenir au Danemark parce qu’une femme m’en empêche. Cette femme qui te soigne. T’enlève délicatement la chemise quand tu rentres du boulot. Te glisse les pieds dans un bassin d’eau tiède, … » radote un d’entre eux. On dirait que les femmes occidentales n’atteignent pas toutes leurs attentes. On dirait aussi que les femmes africaines en Europe s’occidentalisent…Je dirais juste la femme !

Solidarité au rendez-vous

Brutalement, la musique s’arrête. Les conversations aussi. Fin de la soirée ? Non. On annonce qu’il y a un message important. En lingala, un des organisateurs de la soirée prend la parole. Pendant près de 5 minutes, il appelle toute la communauté congolaise de Danemark à cotiser pour financer les frais de funérailles d’un compatriote décédé. « Si vous ne le faites pas, il sera incinéré…Vous savez que ce n’est pas dans nos mœurs. Nous, on enterre nos morts » argumente-il. Pratiquement comme en Afrique. Des cotisations lors des funérailles. Finalement, tout durant cette soirée de réveillon, alors tout me rappelait l’Afrique. J’étais à la maison. Chez moi mais ailleurs.


Grand froid pour les uns, pas encore assez pour les Roms ?

Les premiers jours du grand froid au campement des Roms

Lille a atteint le niveau 3 du plan hivernal le mardi 30 novembre dernier. Insuffisant pourtant pour mettre tous les nécessiteux dans le même panier. Des Roms devraient encore attendre. Au lancement du dispositif hivernal d’hébergement, pas des places disponibles pour les héberger. Avec les moyens du bord, ils sont obligés de lutter contre le froid dans leurs caravanes. Visite guidée dans la cabane de Telas à Villeneuve d’Ascq.

Pas de place au chaud pour les Roms

La fumée de la cheminée pollue l'air dans la cabane et provoque notamment la toux auprès des enfants

Les Roms ne se font pas d’illusions. Ils ne seront pas prioritaires. A côté de l’Ecole de l’architecture et de paysage à Villeneuve d’Ascq, chaque résidant du campement se débrouille pour réchauffer sa caravane. Des cheminées montées avec les moyens du bord laissent échapper des fumées noires au dessus du toit.

A l’intérieur, le feu est alimenté par de petits morceaux de bois. Le froid s’éclipse. Il fait chaud mais l’air est pollué par la fumée. Cherchant à se mettre à l’abri du froid, ils s’exposent à d’autres problèmes de santé.

Telas, 24 ans, mère de quatre enfants, m’accueille dans sa cabane. Elle y a installé le même dispositif. Dans un français approximatif, elle me raconte qu’elle n’a pas d’autres choix pour lutter contre le froid. « Pas de gaz, pas de chauffage, comment faire … ».

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Mais, ce sont des enfants qui payent, les premiers, le lourd tribut. La toux frappe déjà deux d’entr’eux.

L’extrême froid s’installe

Le froid enferme aussi les Roms dans leurs cabanes

Pour rappel, Jean-Michel Bérard, le préfet du Nord, a déclenché le niveau 3 du plan grand froid le mardi 30 novembre dernier. Des températures en dessous de la barre de – 7 °c attendues avaient motivé cette décision.

Stéphane Covert, responsable adjoint au service de la protection civile de la préfecture du Nord, a rappelé que ce niveau 3 visait:

à renforcer les capacités d’accueil, d’hébergement et d’insertion ; à poursuivre la mise en œuvre d’un plan renforcé pour les sans abri et renforcer la veille sociale ».

Nous sommes en France. Les hommes habitent ici en hiver.

Officiellement donc, près de 380 places d’hébergement devront être mises à disposition, même si « à ce jour, 86 % de ces places sont occupées ».

Pas encore assez pour les Roms

Pour l’instant, nous n’avons pas les moyens suffisants pour accueillir les familles roms. Il faudrait attendre peut-être le niveau 3 du plan. Nous n’avons pas reçu d’indications contraires. Nous appliquons encore le niveau 2 », m’a expliqué au téléphone, début décembre, Jérôme Rybnsky de la CMAO/Lille (coordination-mobile-accueil-orientation), fer de lance de la mise en œuvre du plan grand froid.

Il a fallu attendre près de deux semaines pour rectifier les tirs. «  On peut dire qu’il y avait une forme de discrimination dans cette mise en sécurité hivernale » vient de reconnaître le préfet du Nord.  Les Roms devront avoir aussi des places d’hébergement d’urgence en cas de grand froid. Deux gymnases ont été ouverts la semaine dernière dans la métropole lilloise à Haubourdin et Lambersart. Encore faut-il que les Roms aussi accepter de quitter leurs caravanes…


Le corps humain nu, ça vous dit ?

La nuit du modèle vivant à Lille, 13 octobre 2010

Le nu. Ici, on le qualifie ainsi. C’est la représentation artistique du corps humain nu. Là où je viens, on parlerait plutôt du sacrilège, de l’abomination ou de je-ne-sais-quoi de pareil. Pourtant, j’ai accepté l’invitation. Peut-être que je ne savais pas encore très bien ce qui m’attendait. Oui, j’ai accepté d’aller apprendre à dessiner un modèle vivant.

Les étudiants plasticiens de Lille 3 encadrent les apprentis dessinateurs du nu

Choc culturel dès mon entrée au Palais des beaux arts. Devant plusieurs personnes, deux femmes et un homme arrivent et se déshabillent totalement après quelques consignes du plasticien, maître de la séance. Pas de cri de stupeur. Rien. Il paraît que ce n’est pas étrange. « On les considère comme des objets d’art » me souffle une jeune française assise à côté de moi. Comme elle, j’ai mon papier et mon crayon pour dessiner.

Dessiné par Mathilde Tournier

Mais, je n’arrive pas à commencer l’exercice. En amont, je me sens obligé de me replacer dans le temps et dans l’espace. Je dois me dire que je suis bien en 2011 et à Lille, au nord de la France. Je ne suis plus chez moi, à Kisangani, à l’est du Congo-Kinshasa. Là-bas, durant toute mon enfance, voire ma jeunesse, bref toute ma vie jusqu’ici, on m’avait appris à respecter le corps humain. A la maison, on me disait qu’il était sacré. A l’église, le catéchiste me démontrait que c’était le temple du Seigneur.

De ces deux écoles, j’avais construit ma conception de la nudité. Une conception africaine de la nudité. Là où je viens donc, la nudité possède une autre valeur. Elle incarne tout autre chose. Elle est assimilée à une sorte d’appel à la sexualité. Or, ne serait-ce que parler de la sexualité demeure encore un véritable tabou…

Mon premier nu

Après cette recontextualisation tempo-spatiale dans mon esprit, j’ai décidé de faire comme tout le monde. J’ai pris mon crayon. Regardant scrupuleusement le corps du jeune homme nu devant moi, j’ai commencé à le dessiner sur mon papier blanc. Je me vois encore ébahi devant la concentration, sans faille, d’un petit garçon de 10 ans. Lui aussi est venu dessiner les modèles vivants. Ca ne passerait pas en Afrique, je crois. Peut-être avec le temps. Ici, ça passe sans casser. Autre espace, autres mœurs !