« Moi veux partir à Lille mais pas ticket »
Comment se déplacer d’une ville à une autre de la France lorsqu’on est immigré ? Immigré européen dans une « situation irrégulière », travaillant dans le noir et sans domicile. C’est l’histoire d’un Roumain que j’ai croisé ce matin à la Gare du Nord à Paris.
Destination Lille. Moi, j’ai mon titre de voyage, lui, il n’en a pas. Il ne sait même pas où il va crécher une fois arrivé là-bas. Son seul espoir : le 115. Même s’il ne sait pas non plus ce que c’est. Yeux braqués sur les instructions collées sur une cabine de téléphone fixe France télécom, mais il tente de comprendre à quoi il sert, ce numéro.
Il m’aborde alors, car je suis debout à côté de lui, en train d’attendre mon train. « Si j’appelle le 115, eux donner moi où dormir ? ». Sa question m’intrigue. Je m’y attendais le moins du monde. Car, mon interlocuteur est bien habillé, avec un air jovial. Peut-être que j’ai mal compris sa question. Je m’approche et il poursuit : « Je suis Roumain, moi veux partir à Lille, mais pas ticket, pas maison là-bas ». Apparemment, mon ami pose plusieurs problèmes à la fois. Le 115 ? Possibilité de voyager sans ticket ? Comment dormir et manger à Lille ? J’essaie donc de recadrer la discussion. Une question après une autre pour bien nous avancer.
- Vous voulez savoir si en appelant le 115, vous aurez un endroit où dormir. C’est bien ça ?
- Oui et eux donner moi à manger aussi ?
Ok. J’ai compris : plus je demande une explication à sa question, plus des questions s’ajoutent. Alors, autant tenter de commencer à répondre tout de suite. Pour avoir enquêté sur la situation des Roms lors de la mise en place du plan hivernal en décembre dernier, je lui explique ce que je sais de ce fameux « 115 » : un numéro gratuit à appeler, en cas d’urgence, pour les sans abris. Je lui confirme que le 115 pourra bien lui informer sur l’hébergement d’urgence, les accueils de jour, l’accès aux soins, voire l’aide alimentaire.
L’exploitation de l’homme par l’homme ?
Il me remercie et me fait savoir qu’il doit d’abord arriver à destination avant d’appeler le 115. Logique. Mais, son problème demeure : comment arriver à Lille ? Il n’a pas pris son ticket, mieux son budget ne lui permet pas d’en acheter un. Il m’explique qu’il est en France depuis une année et il bosse…dans le noir.
Moi travailler dans la menuiserie. Patron me promet 50 euros par jour, mais quand faut payer, la police arrive. Ici, beaucoup de travail, beaucoup d’argent, mais patrons mauvais »
Mon ami Roumain se lâche. Il me confie qu’il est exploité et qu’il n’en peut plus. Toute sa famille restée en Roumanie compte sur lui. Mais, à part la nourriture et une place pour dormir dans le sous-sol de l’usine, son patron ne lui donne rien ou presque. « Moi, même 100 euros par semaine me suffisent mais lui veut pas. C’est pourquoi, moi veux partir. » Quitter Paris pour Lille, sans viatique, espérant qu’au Nord, il tombera sur de bons patrons.
Mon train arrive. Notre train plutôt. Nous nous avançons. J’admire son courage. Je me demande comment il compte s’y prendre. Des contrôleurs sont devant nous. Je présente mon billet et je passe. Derrière moi, il est stoppé. Son rêve d’atteindre le Nord s’arrête. Retournera-t-il vers son patron parisien pour continuer à être exploité ? A-t-il vraiment le choix ?
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